Washington défend l’Internet libre…mais sous surveillance

Le siège de Facebook à Palo Alto, en Californie.
Le siège de Facebook à Palo Alto, en Californie.AP/Paul Sakuma

Le Monde : Depuis l'arrivée au pouvoir du président Obama, les Etats-Unis ont érigé la "liberté de l'Internet" en objectif officiel de leur politique étrangère. Ce volontarisme fut solennellement réaffirmé en janvier 2010 dans un discours de la secrétaire d'Etat Hillary Clinton, qui proclama l'avènement d'un nouveau droit humain fondamental, le "droit de connexion".


Au passage, Mme Clinton rappela que son pays a une responsabilité particulière, car il est la "terre natale" de l'Internet. Pour Washington, la défense de l'Internet est d'autant plus naturelle qu'il s'agit de faire la promotion à l'export d'entreprises américaines comme Google, Twitter ou Facebook, dont les dirigeants sont proches des élites politiques et financières du pays.

La secrétaire d'Etat avait aussi annoncé le renforcement d'un programme hérité de l'administration précédente : l'aide financière à des entreprises et des ONG fabriquant des logiciels anticensure, pour aider les opposants vivant sous des régimes autoritaires à contourner les blocages, crypter leurs messages et effacer leurs traces. Les bénéficiaires des fonds fédéraux devaient distribuer leurs logiciels gratuitement, les traduire en différentes langues et offrir des programmes de formation.

Un an plus tard, au lendemain des soulèvements populaires de Tunisie et d'Egypte, Mme Clinton fait un premier bilan de son action, citant notamment la création d'un service spécialisé au département d'Etat et le déblocage de 30 millions de dollars (22 millions d'euros) pour une soixantaine d'organismes développant des systèmes anticensure.

L'une des ONG ayant reçu des fonds fédéraux ces dernières années est le projet TOR (The Onion Router). Géré par des hackeurs américains et européens, TOR a créé un réseau international de serveurs permettant de crypter tous les types de messages et de se connecter sans laisser de traces. L'un des responsables américains de TOR, Jacob Appelbaum, a voyagé au Moyen-Orient, de la Tunisie au Kurdistan, pour faire connaître son système aux militants locaux.

Or, M. Appelbaum est aussi un membre actif de WikiLeaks. Cela fait partie de son métier car, au départ, Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, avait pour but d'aider les internautes vivant dans des pays de dictature à dénoncer des actes immoraux ou illégaux commis par leur patron ou par un responsable officiel. De fait, WikiLeaks s'appuie en partie sur les serveurs de TOR pour garantir l'anonymat de ses sources.

Dès que M.Assange commence à publier des documents confidentiels appartenant aux Etats-Unis, le statut de M. Appelbaum change aux yeux des autorités américaines : il cesse d'être un héros de la liberté pour devenir un complice présumé dans l'enquête criminelle lancée contre WikiLeaks pour vol de documents.

"HÉGÉMONIE AMÉRICAINE"

Au cours de l'été 2010, M. Appelbaum prend publiquement la défense de WikiLeaks face aux attaques virulentes des responsables politiques américains. Peu après, de retour d'un voyage aux Pays-Bas, il est interrogé pendant plusieurs heures par la police des frontières américaine, qui saisit ses téléphones et ses ordinateurs portables. Même chose en janvier, alors qu'il rentre d'un séjour en Islande –mais cette fois la police est bredouille, car désormais il voyage léger, sans appareil électronique.

Interrogé par Le Monde, M. Appelbaum met en garde les jeunes étrangers qui racontent leur vie avec insouciance sur les réseaux sociaux: "Si vous êtes sur Facebook, bienvenue dans le monde de l'hégémonie américaine!" Il rappelle que le business model de ces entreprises est fondé sur le stockage et l'analyse des données personnelles de leurs utilisateurs, puis il raconte une anecdote : un jour, il se rendit dans les locaux de Facebook en Californie pour un entretien d'embauche (qui n'aboutit pas). Là, il bavarda par hasard avec un homme disant travailler pour une agence fédérale qui était en train d'installer un système d'inspection des serveurs de Facebook.

De son côté, la justice américaine s'intéresse aussi aux réseaux sociaux. En janvier, Twitter a annoncé qu'un procureur fédéral exigeait des copies des comptes de MM. Assange et Appelbaum et d'autres militants de WikiLeaks, dont Birgitta Jonsdottir, députée islandaise. En outre, le procureur avait interdit à Twitter de prévenir les personnes visées. L'entreprise a réussi à faire annuler cette dernière mesure et a pu alerter ses utilisateurs, mais leurs recours juridiques semblent limités.

Yves Eudes  
Article paru dans l'édition du 22.02.11


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