FRANCE : Vers une nouvelle coordination du renseignement ?

[Le Monde] Pour lutter contre les menaces terroristes, l'espionnage (politique ou industriel), la prolifération…, la France dispose de six services de renseignement. La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement militaire (DRM) ainsi que la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) relèvent du ministère de la défense ; Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) et la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) sont rattachés au ministère de l'économie, des finances et du budget, tandis que la Direction centrale du renseignement intérieur est placée sous l'autorité du ministère de l'intérieur (on pourrait d'ailleurs ajouter à cette énumération la Direction du renseignement de la préfecture de police érigée au rang de véritable service par la réforme de 2008).

En 2008, conscient du défi majeur que constitue la coordination des activités de renseignement, le président de la République a entrepris de créer le Conseil national du renseignement, formation spécialisée du Conseil de défense et de sécurité nationale, qui se réunit sous son autorité et a pour vocation de déterminer une politique du renseignement. En complément, a été créée la fonction de coordinateur national dans l'objectif de moderniser les méthodes de travail et, bien sûr, de coordonner les différents services de renseignement. Véritable collaborateur du président, il appartient au coordinateur d'orienter, définir et hiérarchiser l'action des services, mais également de servir de courroie de transmission pour les directives du chef de l'Etat. La création du CNR constitue un progrès notoire, les services étant trop souvent enclins à ne pas communiquer entre eux, à poursuivre des objectifs identiques de manière solitaire, à affirmer leur autonomie.

Nommé par arrêté du président de la République daté du 23 juillet 2008 et confirmé dans ses fonctions par le décret du 13 janvier 2010, le diplomate Bernard Bajoletassumait les fonctions de coordonnateur jusqu'à sa récente nomination à l'ambassade d'Afghanistan, le 22 février 2011 ; son départ met en exergue les travers intrinsèques et les vraies difficultés du nouveau système : car, outre la présidentialisation excessive générée par le nouveau dispositif analysée dans une note Terra Nova, force est de constater que Bernard Bajolet n'était guère parvenu à s'imposer comme référent incontournable des services de renseignement, lesquels continuaient d'informer directement le président de la République et Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée. De fait, ce dernier était directement impliqué par les observateurs avertis dans les scandales qui, des semaines durant, nimbèrent la DCRI : l'élément était à porter au crédit de Bernard Bajolet mais démontrait avant tout que la véritable coordination s'effectuait toujours dans le bureau de l'ancien secrétaire général de l'Elysée.

D'autre part, si l'on comprend aisément que les directeurs n'aient aucunement souhaité renoncer à leur lien direct avec le chef de l'Etat (même si cette situation a partiellement affaibli la nouvelle interface), le maintien du rôle opérationnel joué par l'état-major particulier du président de la République questionnait, in fine, sur l'utilité de la fonction occupée par monsieur Bajolet et justifie aujourd'hui son départ. Par ailleurs, l'état-major particulier du président de la République l'avait très officiellement marginalisé sur le dossier de la gestion des otages français alors que, précédemment ambassadeur en Irak, B. Bajolet avait géré avec succès les cas de Georges Malbrunot, Christian Chesnot et Florence Aubenas. En fin de compte, l'autorité du coordonnateur était battue en brèche tant par ses supérieurs hiérarchiques que par les services qu'il devait coordonner.

Pour le remplacer, le président de la République a choisi de nommer, le 23 février, le préfet Ange Mancini ; ancien policier, ancien directeur du RAID, ses qualités d'écoute sont aujourd'hui louées pour justifier sa nomination. Or, celle-ci soulève une série de questions capitales.

UNE NOMINATION AMBIVALENTE

Son amitié avec le directeur de la DCRI Bernard Squarcini, sa proximité avec Claude Guéant dont il fut un collaborateur direct quand celui était directeur général de la police nationale, lui permettront-elles de s'imposer comme principal interlocuteur des services de renseignement ou officialiseront-elles la situation problématique décrite ci-avant ? Le cœur de la coordination suivra-t-il Claude Guéant au ministère de l'intérieur ou la vacance élyséenne en la matière profitera-t-elle au nouveau coordinateur ?

Considérant que, peu de temps avant son départ pour l'Afghanistan, Bernard Bajolet confessait son désir de renouer avec l'expérience de terrain, le caractère et les compétences indéniables d'Ange Mancini comme policier de terrain puis préfet très actif ne généreront-elles pas une certaine frustration à la tête du CNR puisqu'il ne lui revient pas de participer à la gestion opérationnelle des événements ? Ou bien, précisément, doit-on déceler l'amorce d'une évolution du CNR vers une plus grande immixtion dans l'activité des services, vers un caractère opérationnel affirmé ? Dans ce cas, le problème de la présidentialisation induite et de l'absence de responsabilité politique du président de la République se reposera avec une acuité inégalée.

Le profil d'Ange Mancini et ses amitiés policières ne défavoriseront-ils pas les services de renseignement extérieur et militaires ? Ne marginaliseront-ils pas le versant diplomatique du renseignement et la nécessaire relation à étoffer avec le Quai d'Orsay qui, semblerait-il, n'a rien tenté pour proposer un diplomate en remplacement de M. Bajolet. Car limiter le renseignement à son versant policier se révèlerait immensément réducteur voire dangereux.

En somme, la nomination d'Ange Mancini apparaît extrêmement ambivalente : l'homme jouit de qualités éminentes pour occuper un tel poste ; mais ces qualités constituent autant de handicaps pour la fonction. Par ailleurs, cette nomination s'accompagne d'incertitudes concernant le périmètre d'action du coordonnateur, sa marge de manœuvre. Dans la mesure où nous ne pouvons attendre aucun éclairage de la part de la Délégation parlementaire au renseignement dont l'activité brille par son indigence, nous en sommes réduits à espérer que l'avenir répondra à ces questions fondamentales. Mais une démocratie moderne peut-elle se contenter de vivre d'espoir ?

Floran Vadillo, politologue, spécialiste du renseignement.


SOURCE : Lemonde.fr 

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