Maroc: le nouvel âge d'or des phosphates


Maroc: le nouvel âge d'or des phosphates
[L'Express] Le Maroc détiendrait environ 80 % des réserves mondiales de phosphates, principalement dans les bassins miniers de Khouribga (photo) et de Gantour.
Chakib Alami pour L'Express

Poids lourd de l'économie marocaine, l'Office chérifien des phosphates (OCP) s'est engagé dans un vaste programme d'investissement. Il entend être présent dans toute la chaîne, de l'extraction de la matière première à la production d'engrais. 


Le Maroc n'a pas de pétrole, mais il a des phosphates. Sur le site de Khouribga, au coeur de la mine de Sidi Chennane, exploitée par l'Office chérifien des phosphates (OCP), voici Marion : c'est ainsi que l'on surnomme la gigantesque dragline (1), un engin d'excavation de 3 000 tonnes, qui travaille jour et nuit, sans relâche. Aux manettes, Mohammed, très concentré, manoeuvre sous un soleil de plomb la flèche de 83 mètres. A son extrémité, un godet tiré par de lourdes chaînes charrie des tonnes de mètres cubes de terre. Il s'agit d'atteindre, 20 à 40 mètres plus bas, la première couche de phosphates sédimentaires, vestiges d'un monde marin disparu il y a quelque 60 millions d'années. Le Maroc détiendrait environ 80 % des réserves mondiales de phosphates : 85 milliards de mètres cubes, situés principalement dans les bassins miniers de Khouribga et de Gantour (proches respectivement des villes de Youssoufia et Benguerir). 

Au détour d'un terril, un engin arrache à la terre le minerai brut, chargé ensuite dans l'un des camions qui se relaient, puis transporté jusqu'au site d'épierrage. Là, la roche phosphatée est passée au crible, puis acheminée par tapis roulant jusqu'à la laverie, quelques kilomètres plus loin. Le minerai est rincé et malaxé dans des cylindres géants, enrichi jusqu'à obtention d'une poudre blanchâtre, fine comme du sable. Dans ce paysage lunaire et aride, le silence est fendu par le ronronnement des machines et la ligne d'horizon brisée par des collines artificielles, empreintes de l'activité minière. Les rares silhouettes sont celles des hommes qui s'affairent à la maintenance. Ici, tout est automatisé. Près de 80 % du phosphate brut est exporté, au départ du port de Casablanca. Le reste est acheminé par convoi ferroviaire jusqu'à Jorf Lasfar, sur la façade atlantique, pour y être transformé en acide phosphorique ou en engrais. 

Un "minéroduc" reliera Khouribga à Jorf Lasfar

Sur le bas-côté de la route principale qui conduit à la mine, de larges tuyaux attendent d'être assemblés. Ils formeront l'épine dorsale, longue de 167 kilomètres, qui reliera en 2013 la mine de Khouribga au hub chimique de Jorf Lasfar. Audacieux, ce projet de "minéroduc" réduira massivement les coûts de la logistique comme de la consommation d'eau et d'énergie. Il limitera aussi les nuisances environnementales. Ce pipeline est l'un des piliers d'un vaste programme d'investissements, étalé sur dix ans et évalué à 98 milliards de dirhams (8,5 milliards d'euros). 

Alors que les cours des matières premières agricoles ne cessent de grimper, de même que la demande d'engrais, l'OCP, en situation de monopole dans le royaume, souhaite renforcer sa présence sur l'ensemble de la chaîne, de l'extraction du minerai brut aux produits. Cette forte demande, tirée par la hausse des besoins alimentaires dans le monde, en Asie du Sud et de l'Est notamment, n'est pas près de s'éteindre. Selon l'International Fertilizer Association, les besoins en engrais devraient s'intensifier continuellement jusqu'en 2015 à l'échelle de la planète, au rythme de 2,4 % par an. Les prix élevés des céréales poussent par ailleurs les agriculteurs à augmenter les surfaces emblavées, ce qui accroît encore la demande de fertilisants. Résultat : les cours des engrais phosphatés ont explosé depuis 2006, atteignant même des sommets deux ans plus tard. En 2006, le cours du phosphate d'ammoniaque (DAP) avoisinait les 300 dollars la tonne, avant de flirter avec les 1 200 dollars en 2008, et de redescendre autour de 700 dollars la tonne fin 2011. 

C'est en 2006, alors que les cours commençaient à flamber, que Mustapha Terrab a pris les rênes de l'OCP. Ingénieur brillant, l'homme, aujourd'hui âgé de 56 ans, est diplômé de l'Ecole nationale des ponts et chaussées (Paris) et titulaire d'un doctorat en recherche opérationnelle du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il a occupé plusieurs postes à responsabilité au Maroc et aux Etats-Unis. Dès sa nomination, il engage une réflexion stratégique sur l'avenir du groupe. Puis décide une mutation en profondeur, avec deux axes : une réduction massive des coûts, entre 30 et 40 %, et l'augmentation des capacités de production afin de répondre au déséquilibre entre l'offre et la demande. 

Premier exportateur mondial de phosphates

"Le secteur des matières premières est très cyclique ; pour nous, il s'agit surtout d'être viable dans le bas de cycle. D'où la nécessité de consacrer une grande partie de nos investissements à la réduction des coûts, afin de pouvoir résister lors des périodes plus difficiles", explique Mhamed Ibnabdeljalil, le directeur du pôle commercial de l'OCP. 

Dans le même temps, quatre nouvelles mines devraient entrer en activité d'ici à 2017. Objectif : augmenter la capacité globale de production de phosphates du groupe, de 30 à 50 millions de tonnes par an. La construction à Jorf Lasfar de quatre nouvelles usines de fertilisants DAP (le plus courant) et MAP (phosphate mono-ammonique), d'une capacité de 1 million de tonnes par an chacune, permettra par ailleurs au Maroc de tripler sa capacité de production d'engrais. Celle-ci devrait atteindre 9 millions de tonnes d'ici à 2020. 

Sous la houlette de Mustapha Terrab, l'OCP se montre également plus offensif sur le plan commercial, multipliant les partenariats qui lui permettent de prendre pied à l'étranger. En décembre dernier, l'industriel marocain a acquis 50 % du complexe industriel et portuaire de Yara, à Rio Grande, dans le sud du Brésil. La contrepartie : un approvisionnement en phosphates sécurisé. Un mois plus tôt, l'OCP montait un joint- venture avec le groupe turc Toros Tarim, afin de développer le négoce d'engrais phosphatés sur les marchés de la mer Noire, des Balkans et en Asie centrale. Le groupe prend également position en Afrique (voir l'encadré). Surtout, il affiche ses ambitions sur le marché indien, premier importateur au monde de phosphates et d'acide phosphorique. 


loppement durable : le président insuffle un nouvel esprit. Il n'est pourtant pas loin le temps où l'OCP faisait encore figure de "boîte noire". Devenue société anonyme en 2008, tout en restant aux mains de l'Etat marocain (actionnaire direct à 94 % et indirectement via le groupe Banque centrale populaire), le groupe industriel publie désormais ses résultats financiers comme n'importe quelle entreprise privée. En 2010, l'OCP a réalisé un chiffre d'affaires de 46,3 milliards de dirhams (4,1 milliards d'euros). Son bénéfice a atteint 8,85 milliards (786,8 millions d'euros). Première entreprise industrielle du royaume, l'OCP assure près du quart des exportations du pays, troisième producteur et premier exportateur mondial de phosphates. Le secteur est l'un des principaux moteurs de l'économie nationale, employant quelque 20 000 personnes. Un effectif appelé à gonfler rapidement, avec l'intégration en cours de 5 800 travailleurs marocains. Inscrit dans la politique de développement du groupe, le recrutement a été accéléré en raison d'émeutes sociales, qui ont éclaté dans la ville minière de Khouribga, au premier semestre 2011. "Mustapha Terrab, c'est l'homme qu'il faut, au bon moment", lance Abdelkader Alouani, quinze ans de maison et directeur adjoint du pôle industriel de Khouribga. Pour la première fois de son histoire, l'OCP a lancé en septembre dernier un emprunt obligataire de 2 milliards de dirhams (174 millions d'euros), afin de financer une partie de son programme d'investissement. Transparence, responsabilité et déve 

Khouribga, ville "OCP" créée de toutes pièces

Le groupe s'est par ailleurs engagé à former 15 000 jeunes. Sans autre perspective d'emploi que d'intégrer la mine, en raison d'un tissu économique local pas assez diversifié - la sous-traitance a été transférée à Casablanca et Safi, à une centaine de kilomètres -, les attentes des populations à l'égard de l'OCP sont énormes. D'autant que les avantages offerts sont considérables : couverture sociale, salaires plus élevés que la moyenne, infrastructures sportives et sociales. Khouribga, ville "OCP" créée de toutes pièces, au milieu de nulle part, du temps du protectorat, compte 17 sections sportives, qui vont de la natation à l'équitation en passant par le tennis et le tir à l'arc. La clinique, la salle des fêtes, le collège flambant neuf, les clubs sociaux, l'éclairage public... sont estampillés OCP. 

Aujourd'hui, les habitants attendent avec impatience de voir sortir de terre le projet de "mine verte", un chantier de 5 milliards de dirhams (440 millions d'euros) destiné à convertir les sites miniers abandonnés en ville écologique. Sur 350 hectares, le projet prévoit la construction de résidences, d'un complexe touristique et d'une pépinière d'entreprises. Une bouffée d'air frais qui tarde toutefois à venir... 

(1) Engin d'excavation aussi appelé "pelle à benne traînante".

SOURCE : L'Express

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