Révoltes arabes : et le Maroc dans tout ça ?
[Le Soir Echos] Les Marocains, à quelques exceptions près, restent sur leur faim. Prédire ce que réserve le futur à un pays comme le nôtre semble être un jeu de scenarii auquel s’est volontiers prêté Tajeddine El Houssaini, professeur de Relations internationales, lors d’une rencontre mercredi à Casablanca, organisée sous le thème de l’« Effervescence au Maghreb : logiques et enjeux géopolitiques », organisée par l’école de management ESCA. « Je ne pense pas que le Maroc soit à l’abri de ce qui se passe ailleurs. Le risque existe toujours du fait que la crise économique s’impose avec force (chômage, inflation…). Cela dit, je préfère utiliser le terme «révolution» plutôt qu’effervescence», analyse-t-il.
A ses yeux, la vague de démocratisation qui déferle sur le monde arabe, met un terme à un cycle politique qui a longtemps maintenu la population sous un contrôle géré d’une main de fer. Ce chercheur pense que le 20 février représente une tournure dans l’histoire contemporaine du pays, dans la mesure où le Maroc post-20 février se projette dans de nouveaux horizons politiques et géostratégiques.
Brahim Fassi Fihri, président de l’Institut Amadeus, a qualifié le nouveau contexte de « révolution du roi et du peuple », pour désigner la nécessite d’instaurer un « nouveau contrat social » auquel le nouveau cadre issu du mouvement du 20 février, qui n’a pas encore de coloration idéologique, prend part. Fihri garde néanmoins un œil vigilant sur le mouvement islamiste marocain Al Adl Wal Ihsane, qui « se tient en embuscade ». La Jamâa de Yassine garde encore ses distances, enregistrant ainsi « une participation mesurée aux manifestations. Est-ce une tactique ? Un bras de fer ? Un silence qui précède une forte mobilisation ultérieure ? », se demande le président du think tank marocain.
Faut-il voir dans l’attitude réservée de Fihri à l’égard d’Al Adl Wal Ihsane des signes avant-coureurs d’une nouvelle ère ? En décortiquant le champ politique des pays du Maghreb, il souligne qu’il « n’y pas d’alternatives légitimes pour les régimes à bout de souffle ». Il y ajoute deux facteurs capitaux : « la concentration des pouvoirs entre les mains du même clan et l’absence de toute opposition crédible (opposition muselée, ndlr).»
Brahim Fassi Fihri conclut que « le nationalisme arabe est perverti ». Parler de contagion est devenu possible à cause du rôle de plus en plus important des médias. Al Jazeera est le nouveau Gamal Abdel Nasser du monde arabe », prévient-il.
Importance des médias
Force est donc de constater que « l’insularité du Maroc est un concept stérile », comme l’a bien expliqué Amal Boubekeur, chercheur spécialiste du Moyen-Orient et du Maghreb. « Nous sommes, soutient-elle, en présence d’un passage obligé d’une culture du multilatéralisme partisan à une culture de résistance civile ». Ceci pour dire qu’un nouveau décor politique est planté, dans lequel on assistera à une omniprésence et une omnipotence de nouveaux acteurs dans le jeu politique ? Tout l’enjeu est là. Ce qui est sûr, d’après l’analyse de Tajeddine, c’est que tous les ingrédients sont réunis pour prétendre au « Grand soir ». D’abord, il évoque la théorie d’Ibn Khaldoun selon laquelle, tout régime qui atteint le sommet de sa gloire emprunte par la suite une courbe descendante. Puis, le chercheur détaille que tout modèle de développement basé sur la dictature et la croissance finit par prouver son inefficacité. Poussant l’analyse plus loin, il constate que ce « tsunami politique », qui a bouleversé l’ordre établi jusqu’alors dans la région MENA, n’est que le signe avant-coureur d’une nouvelle vague politique de mondialisation, après celle économique remontant déjà à plusieurs années. Il croit sincèrement, par déterminisme, qu’il s’agit là de « quelque chose qui va se généraliser», mettant à nu sur son passage l’équilibre des forces mondiales. « Sur le plan militaire et stratégique, l’Amérique maintient toujours son unipolarité. En revanche, sur le plan économique et technologique on peut déjà parler d’un système multipolaire », détaille-t-il.
Pour éviter le pire au Maroc, Tajeddine conseille de procéder à une nouvelle redistribution équitable des richesses. Il invite également à la création de deux fonds, l’un dédié à la lutte contre la pauvreté, l’autre à la création d’entreprises. « Il est grand temps d’activer le fonds Zakat et la promotion du grand Maghreb », recommande-t-il.
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